Lear opéra contemporain d’Aribert Reimann au Palais Garnier, avec une distribution impressionnante. Il est rare de voir des productions d’œuvres contemporaines. Plus qu’une reprise, une redécouverte, avec l’impressionnant Bo Skovhus !
Lear
Opéra en langue allemande en deux parties (1978), Musique Aribert Reimann, Livret Claus H. Henneberg d’après William Shakespeare, King Lear, Direction musicale Fabio Luisi, Mise en scène Calixto Bieito
KÖNIG LEAR Bo Skovhus, KÖNIG VON FRANKREICH Gidon SaksHERZOG, VON ALBANY Andreas Scheibner, HERZOG VON CORNWALL Michael ColvinGRAF, VON KENT Kor‑Jan Dusseljee, GRAF VON GLOSTER Lauri Vasar, EDGAR Andrew Watts, EDMUND Andreas Conrad, GONERIL Evelyn Herlitzius, REGAN Erika Sunnegårdh, CORDELIA Annette Dasch, NARR Ernst Alisch, BEDIENTER Luca Sannai, RITTER Lucas Prisor

Opéra National de Paris 11/2019
En 1968, le grand baryton Dietrich Fischer-Dieskau demande à Aribert Riemann, s’il ne voudrait pas mettre en musique la pièce de Shakespeare, Lear. En 1978, Lear est crée à Munich avec, naturellement, Dietrich Fischer-Dieskau dans le rôle titre. En 1982, Lear entre au répertoire de l’Opéra de Paris dans une version française. L’œuvre dans la mise en scène de Calixto Bieito est jouée en 2016. Reprise pour quelques représentations, cette œuvre est incontournable des créations du XXème siècle. Passionné par la voix, Aribert Reimann explore les nuances des voix masculines. Cet aspect du compositeur est flagrant dans Lear. Pour la composition, il est proche de Penderecki. Il aime utiliser à la fois les arcanes de la musique classique et mélanger tout le registre des percussions. Pour lui, l’opéra est un théâtre en musique. Lear s’accorde parfaitement à ses désirs et à ses recherches.
Lear (Bo Skovhus) est un vieux roi qui décide de partager son royaume entre ses trois filles. Il réclame que chacune lui déclare son amour afin de recevoir la plus grande faveur. Goneril et Regan se répandent en viles flatteries. Cordelia, la plus jeune, se tait. « Elle est trop jeune pour le mensonge ». Lear déshérite sa fille préférée. La pauvre Cordélia part avec son noble fiancé le roi de France. Le fidèle Kent s’insurge et Lear le chasse. Si Lear ne veut plus des charges du pouvoir, il veut conserver ses attributs et les jouets de la royauté. Insupportable vieillard aux yeux de ses filles, il devient vite un indésirable. Pièce terrible et forte, le rôle de Lear est à la fois grandiose et pitoyable. C’est une pièce pleine de fureur, de haine, de violence.
La mise en scène est signée Calixto Bieito, connu pour ses excès, souvent controversé, il peut être passionnant. En l’occurrence, nous l’avons trouvé presque sage mais surtout élégant pour ce spectacle d’une beauté formelle, et d’une sobriété totale.

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Opéra National de Paris 11/2019
LEAR
TOUTES LES PHOTOS : Bernd Uhlich
Au début, les protagonistes vêtus de costumes contemporains évoluent dans un décor de planches noires figurant le château de Lear. Souvent pour illustrer le partage du royaume de Lear, une carte était déchirée, ici Lear a une miche de pain qu’il partage. Puis les planches de bois se soulèvent et deviendront forêt, falaise. Cela semble simple, mais c’est surtout très beau. Rarement la tempête dans laquelle Lear erre, perdu dans les limbes de sa sénilité, fut rendue de façon aussi crue et poétique.
La partition de Reimann résolument inscrite dans l’évolution de la composition du siècle dernier recèle une complexité et une richesse infinie. L’usage de séries dodécaphoniques, l’abondance de clusters, l’utilisation des percussions donne une œuvre passionnante, exigeante. La tempête est un monument, impressionnante par l’utilisation des instruments. Chaque personnage possède son style mélodique. Edgar, interprété par Andrew Watts, le contre ténor s’affronte à une partition difficile puisque sa voix monte, pour arriver à des aigus incroyables pour devenir le pauvre Tom. Gidon Saks est un roi de France royal et Kor‑Jan Dusseljee compose un Kent impeccable. Les trois sœurs qui n’ont rien de Tchekhoviennes nous impressionnent par leur prestation, non seulement immenses cantatrices elles sont des comédiennes sensibles pour Annette Dasch, la fidèle Cordélia, et détestables pour les horribles sœurs Goneril Evelyn Herlitzius, et Regan Erika Sunnegårdh. On s’imagine Lear fragile vieillard, il est évident que l’athlétique Bo Skovhus ne donne pas cette impression à sa première apparition. Mais avec une force tranquille, une obstination de vieillard insupportable, il sait faire affleurer les failles du personnage. Il se voûte, hésite, marche plus difficilement, et impose un Lear historique.
Fabio Luisi dirige avec subtilité cette partition exigeante.
Opéra Garnier jusqu’au 7 décembre 2019
Marie Laure Atinault